Simone de Beauvoir (1908-1986)

Temps de lecture : 5 minutes


Son père dit d’abord d’elle, c’est un homme, elle a un cerveau d’homme !

Françoise d’Eaubonne, 2008 [1986], 71

Née en 1908 à Montparnasse dans une famille bourgeoise qui connaîtra la ruine et le déclassement, Simone de Beauvoir fait face à des parents dont l’émerveillement devant les capacités intellectuelles de leur fille sera rapidement suivi par le désenchantement et la rancœur. Selon Françoise d’Eaubonne, grande amie de la philosophe pendant près de trois décennies, cet environnement familial l’affectera grandement – Beauvoir analysera quant à elle ses relations familiales en termes psychanalytiques et œdipiens. Ses brillantes études la conduiront jusqu’à l’agrégation de philosophie, en 1929, dont le sujet s’intitulait Liberté et contingence. Reçue deuxième derrière Sartre, elle devient alors la plus jeune agrégée de philosophie de France ; toutefois, « selon les critères de l’Université en vigueur à cette époque, une femme ne pouvait obtenir une telle place que si elle avait une cinquantaine de points de plus qu’un homme ayant répondu à la même épreuve[,] ce qui fait que, systématiquement « abaissée » à la notation, si elle n’avait pas été du « deuxième sexe », Beauvoir serait passée première devant Sartre » (d’Eaubonne 2008 [1986], 47).

Sa carrière d’enseignante s’arrête en 1943, alors qu’elle est suspendue de l’Éducation nationale suite à une plainte déposée en 1941 par la mère de Nathalie Sorokine, alors son élève, pour « excitation de mineure à la débauche ». Selon Chantal Maillé, les conditions du renvoi ne sont cependant pas des plus limpides. Cette histoire n’est pas une occurence unique dans la vie de la philosophe, en témoigne notamment l’ouvrage Mémoires d’une jeune fille dérangée de Bianca Lamblin. S’il ne faut pas fermer les yeux sur ces événements et s’il convient de réfléchir à ce qu’ils signifient, Sandrine Ricci soulève un point important lorsqu’elle affirme qu’il est « toujours compliqué de revisiter le passé à la lumière de nos schémas actuels » et qu’il importe de « se demander qui a intérêt à déboulonner Simone de Beauvoir ».

À partir de 1943, la philosophe dédie sa vie à l’écriture. Si l’on a surtout retenu d’elle ses essais philosophiques, ancrés dans l’existentialisme et la phénoménologie, elle est également l’autrice de plusieurs romans. Les Mandarins, parus en 1954, lui valent le prix Goncourt, mais il est vrai que ses œuvres de fiction sont généralement mieux connues et reconnues à l’étranger. Son ouvrage le plus célèbre demeure bien évidemment Le deuxième sexe, dont le premier tome « Les Faits et les mythes » paraît aux éditions Gallimard en 1949. Cet essai, dont l’objectif est d’analyser et renverser la domination masculine, est né du sentiment d’une condition féminine commune que toutes les femmes subissent.

La révolution conceptuelle de Beauvoir tient en ces fameuses lignes : « On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin » (1949, 13). Autrement dit, Beauvoir déconstruit un fait social jusque-là naturalisé, démontrant ainsi que la féminité n’est que représentation collective historique et contingente, et, plus précisément, que les identités sociales des êtres humains sont construites en opposition, en fonction des sexes assignés, faisant de la femme l’altérité même. Cette conception de la féminité aliène également le corps des femmes et les possibilités de ce corps. L’autrice plaide donc pour que les femmes se saisissent de leur liberté et de leur destinée. L’ouvrage rencontrera un franc succès en France et aux États-Unis notamment, mais se heurtera à de nombreuses critiques et réactions relativement violentes.

Vingt ans plus tard, Simone de Beauvoir signera le Manifeste du 5 avril 1971, publié dans Le Nouvel Observateur, et regroupant 343 femmes ayant avorté. Elle affirmera alors que le manifeste « est en accord parfait » avec le contenu du Deuxième sexe.

Simone de Beauvoir et le Mouvement de Libération des Femmes

[Le mouvement féministe] a surgi, bousculant, renversant les concepts traditionnels, innovant à travers des formes de lutte provocatrices. Elle en parle joyeusement, avec fougue. Certaines de ces femmes autoproclamées leader(e)s récusent l’influence de sa pensée, de ses écrits, soupçonnent son féminisme de n’être pas chimiquement pur, elle le constate, hausse les épaules, ne semble pas s’en inquiéter.

Claire Etcherelli, 2008

Si l’association entre Beauvoir et le MLF va de soi dans l’imaginaire collectif, Sylvie Chaperon nous apprend que l’histoire est un peu plus compliquée. L’historienne met de l’avant deux obstacles principaux au développement des relations entre la philosophe et le mouvement, à savoir l’écart générationnel et la notoriété de Beauvoir. Tout d’abord, deux à trois générations se sont côtoyées au sein du MLF, et Simone de Beauvoir, alors âgée de 62, était l’une des plus âgées. D’une part, ses préoccupations n’étaient plus tout à fait les mêmes que celles des militantes plus jeunes ; d’autre part, le système de pensée dans lequel la philosophe s’ancrait était également relativement différent. Car, si elle se disait « radicalement féministe », elle n’appartenait toutefois pas au féminisme radical au sens où d’autres militantes pouvaient l’entendre et ne s’inscrivait pas dans le féminisme révolutionnaire alors prôné. Qui plus est, Beauvoir n’était pas perçue comme une personne bel et bien vivante, mais plutôt comme une icône, créant anxiété et intimation chez les membres du MLF – alimentées par la froideur de la philosophe. Chaperon souligne cependant que ces deux obstacles ont été surmontés grâce à la facilité qu’avait Beauvoir à créer du lien avec les personnes plus jeunes, dont elle trouvait « l’intransigeance, le radicalisme, et les exigences » réconfortantes (1972, 69), ainsi qu’à la distance qu’elle conservait avec les activités du mouvement. Il conviendrait toutefois de poursuivre cette historiographie, pour comprendre plus profondément les dynamiques entre Beauvoir et le MLF.


Christine Guionnet et Erik Neveu. Féminins/Masculins, sociologie du genre (3è édition). Malakoff: Armand Colin.

Christophe Averty. 2020. « « Femmes d’exception » : Simone de Beauvoir ou l’engagement d’une vie ». Le Monde. En ligne.

Claire Etcherelli. 2008. « Quelques photos-souvenirs ». Les Temps Modernes 647-648 (n°1-2): 56-66.

Debra Bergoffen et Megan Burke. 2021. « Simone de Beauvoir ». The Stanford Encyclopedia of Philosophy. En ligne.

Entretien avec Ingrid Galster. 2008. « Les trois vies de Simone de Beauvoir ». L’Histoire. En ligne.

Françoise d’Eaubonne. 1986. Une Femme nommée Castor, mon amie Simone de Beauvoir. Paris : Sofinem/Encre.

Nathalie Collard. 2019. « Faut-il juger Simone de Beauvoir ? ». La Presse. En ligne.

Simone de Beauvoir. 1949. Le deuxième sexe II, l’expérience vécue. Paris: Gallimard.

Simone de Beauvoir. 1972. Tout compte fait. Paris: Gallimard.

Sylvie Chaperon. 2012. « « Momone » et les « bonnes femmes », ou Beauvoir et le MLF ». Dans Christine Bard (dir.), Les féministes de la deuxième vague. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.

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