Yosano Akiko (1878-1942)


Le jour où la montagne bouge est venu

Yosano Akiko, 1911

Sur ce sanctuaire

Que l’humanité bâtit

Depuis toujours,

Je veux moi aussi planter

Un clou en or à mon tour

Yosano Akiko, 1922

Née le 7 décembre 1878 à Sakai au sein d’une famille commerçante aisée, Yosano Akiko (de son vrai nom Hô Shô) a reçu une éducation poussée et privilégiée pour l’époque, puisque seules 1,3% des jeunes filles intégraient alors une école secondaire (contre 5,1% des jeunes garçons). Pour autant, contrainte par son père, elle n’a pu poursuivre des études universitaires, contrairement à son frère ainé par exemple – grâce à lui, elle pourra toutefois parfaire son éducation littéraire, à travers la lecture de romans, d’abord classiques puis contemporains, mais également de revues. Elle prendra plus tard conscience de l’injustice et de la tristesse ayant ponctuées son enfance.

À l’âge de seize ans et après les avoir toujours aidés en parallèle de l’école, Yosano Akiko commence à travailler à temps plein dans la pâtisserie tenue par ses parents. Elle profite des temps morts à la boutique, de ses soirées, voire même de ses nuits, pour lire et écrire, principalement de la poésie. Elle confie ainsi que « [s]on corps se trouvait très occupé par [s]on travail physique au magasin, mais, dans [s]on cœur, [elle s’était] changée en une de ces nobles femmes du Dit du genji ; [elle avait] une compréhension claire de la face sombre de l’humanité ; [elle imaginait] la paix d’un retour au néant et la pureté de la mort » et, « durant ces moments de ravissement, il [lui] arrivait souvent de penser au suicide » (Dodane 2016). Un an plus tard, elle intègre un cercle de poètes locaux, grâce à l’un de ses voisins.

Elle fait parvenir des wakas (un genre prestigieux de la poésie japonaise, recouvrant plusieurs formes poétiques) aux revues littéraires qu’elle consomme. En 1900, elle participe à un concours de poésie au cours duquel elle rencontre un poète dont elle apprécie la nouveauté et qui deviendra, un an plus tard, son mari : Yosano Tekkan (1873-1935) – de son vrai nom Hiroshi Yosano. De cinq ans son ainé, il est professeur, habitué, semblerait-il, aux relations avec ses élèves, déjà marié et père d’un enfant. Ils auront ensemble pas moins de douze enfants. En 1901, elle publie son premier (et plus célèbre) recueil, Cheveux emmêlés (Midaregami en langue originale). Selon Claire Dodane, cet ouvrage doit être compris comme « le récit poétique et éclaté de la genèse de [son] amour [avec Yosano Tekkan], des mois qui précèdent la première rencontre jusqu’à la publication du recueil » (2010, 158). Qui plus est, « Cheveux emmêlés est la première œuvre produite par une femme dans la littérature japonaise moderne à avoir laissé libre cours au bonheur féminin » et l’on « assiste au fil des pages à une naissance voluptueuse et érotique au sein d’un monde de sensations » (2010, 172). En d’autres termes, ce recueil est à la fois novateur, éminemment moderne si ce n’est révolutionnaire, et emprunt de féminisme.

En effet, Yosano Akiko a donné voix aux expériences émotionnelles et sensuelles des femmes dans une société pudique et conservatrice. Et ce n’est que le début tant d’une carrière poétique impressionnante que d’un engagement social significatif. En 1904, elle milite en faveur du pacifisme face à la guerre russo-japonaise, à travers son poème « Ne donne pas ta vie », adressé à son frère cadet. En 1911, elle devient ainsi la marraine de Seitô, la première revue littéraire féministe à voir le jour au Japon. Ainsi que l’explique Maya Todeschini : « sous l’impulsion d’Hiratsuka Raichô puis de Itô Noe, deux féministes qui brillèrent sur la scène intellectuelle et artistique, [Seitô] devint le forum et le symbole des femmes nouvelles : celles qui refusaient le rôle de bonne épouse et de mère avisée qui, selon les intellectuels et dirigeants japonais de l’époque, était le seul convenant à leur sexe, confiné dans un statut inférieur » (2014, 100).

En 1912, elle rejoint son mari en Sibérie, avant qu’iels ne s’installent pendant un an à Paris – elle en profitera pour explorer l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas. Elle y rédige le recueil De l’été à l’automne, mais également, avec son mari, le Journal de Paris, dans lequel iels s’interrogent sur l’éducation des femmes et militent en sa faveur. Suite à ses différents voyages en Europe, elle écrit notamment : « Pourquoi donc les hommes et les femmes ne peuvent-ils vivre dans l’égalité ? Parce que les hommes refusent de se défaire de l’habitude barbare qui consiste à considérer les femmes comme leurs possessions, parce que les femmes de leur côté n’ont pas le courage de rejeter cette mentalité ancienne… D’après ce que j’ai pu observer, les hommes continuent en France, comme en Asie, de considérer tout au fond d’eux que les femmes sont leurs choses, leurs jouets, des êtres dépendants… Ce que je me demande, c’est pourquoi les Françaises ne prennent pas en main leur propre éducation, ne décident pas elles-mêmes de s’éduquer au même niveau que les hommes. Car le premier droit que nous devons revendiquer, nous les femmes qui désirons bénéficier à égalité des avantages de la société moderne, est la liberté de l’éducation. » (1981, réédition).

C’est ainsi qu’après avoir obtenu un poste d’enseignante à l’université, elle participer, en 1911, à l’ouverture de la première école mixte du Japon (Bunkagakuin), dont l’objectif était d’éduquer des « individus libres » (Rodd 1991).


Actualités | Féminisme et élection présidentielle française

Les élections présidentielles françaises auront lieu dans moins de vingt jours. Les enjeux féministes sont devenus particulièrement saillants dans la sphère discursive française, mais les moyens ne sont guère alignés avec les prétentions rhétoriques. Quatre femmes sont actuellement candidates (Nathalie Arthaud, Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Valérie Pécresse), face à huit hommes, pour succéder à Emmanuel Macron. L’appartenance de genre n’équivaut toutefois bien évidemment pas au soutien, ou non, des causes féministes – loin de là. Par ailleurs, l’auto-identification au féminisme ne signifie pas toujours grand chose, surtout lorsqu’on y accole des adjectifs tels qu’universaliste. Dès lors, comment y voir un peu plus clair ?

Les résumés et analyses des programmes

Les programmes complets en lien avec les enjeux féministe ou de genre

Les programmes sans partie dédiée spécifiquement à la lutte contre les inégalités et les violences

Pour plus d’informations

  • Consultez le comparateur de programmes établi par le journal Le Monde
  • Prenez connaissance du Rapport rédigé par Oxfam concernant le bilan du quinquennat Macron
  • Mettez en perspective ces informations avec le concept de féminisme d’État

Les mouvements féministes en France au XIXe siècle

Temps de lecture : 7 minutes


Les mouvements féministes sont entremêlés à une histoire politique et sociale complexe. En effet, le XIXe siècle est marqué par des réminiscences du XVIIIe siècle, telles que les aspirations libérales et le rejet partiel de la religion, des conséquences du Premier Empire, notamment le Code civil, particulièrement inégalitaire, et le développement de la pensée socialiste utopique. Ce contexte riche a pu créer, chez certaines militantes, une pluralité d’affinités qui ne se sont pas toujours avérées compatibles.

Le contexte et la constitution des mouvements féministes

Traditionnellement, on estime que la première vague du féminisme français se constitue dans les années 1860. Le relâchement de la censure sous le Second Empire aurait permis une recrudescence des luttes républicaines et anticléricales, dans lesquelles le féminisme de l’époque s’enracine. Toutefois, cette conceptualisation néglige un grand nombre de figures et d’actions ayant vu le jour au cours de la révolution de juillet, soit trente ans auparavant. Par exemple, plusieurs journaux avaient pris position en faveur de l’égalité – les plus radicaux étant généralement saint-simoniens -, et la décennie suivante avait été marquée par de multiples initiatives (création de clubs, organisation d’événements), souvent ancrées dans la philosophie socialiste de Charles Fourier. À l’origine de cette dynamique se trouvent notamment Eugénie Niboyet, Désirée Véret Gay, ou encore Jeanne Deroin. On ne saurait cependant oublier Flora Tristan, militante féministe socialiste ayant soutenu la nécessité de « l’union universelle des ouvriers et des ouvrières », et ce avant Karl Marx ; George Sand, dont la première partie de l’œuvre consistait en une dénonciation de la condition des femmes ; Louise Michel, anarchiste héroïne de la Commune de Paris déportée pendant sept ans en Nouvelle-Calédonie avant de revenir en force au sein du mouvement ouvrier ; mais également Madame Vincent, Angélique Arnaud, Claire Demar, Pauline Roland, Jenny P. d’Héricourt, Marie-Reine Guindorf… et tant d’autres noms oubliés par l’histoire. Nombre de ces femmes ont par ailleurs été actives tout au long du XIXe siècle et pas uniquement pendant la première moitié.

Revendications, dissensions et anti-féminisme à partir de 1860

La plus grande difficulté rencontrée par le féminisme de l’époque n’est autre que la division interne à laquelle il a dû faire face. Trois problématiques, opposant les militantes autant que s’entrecroisant, ressortent principalement : le droit de vote, l’Église, et les classes sociales.

Le droit de vote

Aussi étonnant que cela puisse paraître a posteriori, le droit de vote n’a pas toujours été considéré comme nécessaire par les féministes ; pour la majorité, il était prématuré, voire tout bonnement dangereux.

Dans le camp du droit de vote nécessaire, sous-tendu par l’idée selon laquelle les droits civiques et la représentation politique sont la condition préalable à l’égalité, on trouve principalement Hubertine Auclert, militante féministe socialiste. Elle crée, en 1876, la Société du droit des femmes – qui deviendra, en 1883, la Société du suffrage des femmes. Un an plus tard, elle constate publiquement et avec amertume l’égalité pénale entre les sexes malgré une inégalité civique criante, déplorant que les femmes comptent « moins que rien dans l’État ». Elle tente par la suite de s’inscrire sur les listes électorales, soutenant que le terme Français employé dans les textes de loi fait aussi bien références aux femmes qu’aux hommes, mais l’argument est rejeté par l’administration – elle se battait déjà pour la démasculinisation de la langue. Elle entame alors un grève de l’impôt et dépose un recours, attirant ainsi l’attention des journaux. La notoriété qui lui est conférée lui permet de faire entendre son message auprès du grand public et des élus. Elle luttera sans relâche pendant trente ans ! Elle ralliera de plus en plus de militantes, renversera symboliquement (et illégalement) une urne lors des élections municipales de 1908, puis proposera sa candidature, toutefois non retenue, aux élections législatives de 1910, accompagnée de Renée Mortier et Gabrielle Chapuis. Neuf ans plus tard, les députés feront passer une loi en faveur du suffrage des femmes, mais, en 1922, le Sénat y oppose son droit de véto. Il faudra attendre plus de vingt ans pour que le droit de vote soit finalement accordé aux femmes – et ce dans une perspective électoraliste d’ailleurs.

Dans le camp du droit de vote prématuré ou dangereux, on trouve trois personnalités incontournables de l’époque : Léon Richer (1824-1911), Maria Deraismes (1828-1894), et Paule Mink (1839-1901).

  • Léon Richer, franc-maçon et républicain convaincu, s’est toujours présenté comme un éminent féministe. Il lance, en 1869, le journal Le Droit des femmes, dont les thèmes principaux étaient l’éducation des jeunes filles et la réforme du Code civil. Il est également à l’origine du Congrès international du droit des femmes en 1878. Son action va généralement de pair avec celle de Maria Deraismes, qu’il initie à la franc-maçonnerie. Ensemble, ils organisent entre autres les Banquets en faveur des droits des femmes et créent l’Association pour le droit des femmes, qui deviendra la Société pour l’amélioration du sort de la femme, soutenue d’ailleurs par Victor Hugo.
  • Maria Deraismes est l’une des figures les plus importantes de l’époque. Elle est à l’origine de multiple initiatives, dont la publication d’Ève dans l’humanité, qui préfigure les arguments de Simone de Beauvoir en assénant que « l’infériorité des femmes n’est pas un fait de la nature, c’est une invention humaine, une fiction sociale », ou encore la création, avec l’aide de Georges Martin, de la loge maçonnique Le Droit Humain, accueillant enfin femmes et hommes.
  • Paule Mink devient, à son retour d’exil forcé suite à son rôle dans l’insurrection de la Commune, une figure essentielle du féminisme socialiste, par ses innombrables prises de parole publiques, ses nombreux pamphlets, ou encore la création de la Société fraternelle de l’ouvrière en 1868. Toutefois, on sent chez elle une tension entre féminisme et socialisme, en raison d’une certaine incompatibilité qui semble s’être créée entre les deux mouvements au tournant du XXe siècle. Parler de Paule Mink ne peut se faire sans parler d’André Léo, féministe, socialiste et anarchiste, aux côtés de laquelle elle milite.

Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer que des féministes aient pu s’opposer au droit de vote des femmes, mais les raisonnements étaient alors les suivants : celles qui le pensaient prématuré partaient du principe que, la société n’étant pas prête, cela desservirait leur cause et rendrait inintelligibles leurs autres revendications ; et celles qui le pensaient dangereux estimaient que l’éducation religieuse des femmes les avaient rendues trop conservatrices pour faire advenir le projet républicain.

L’éducation et l’Église catholique

Si les femmes ont eu accès à l’éducation primaire en 1850, c’est à l’Église catholique que cette éducation a été confiée. Le présupposé de base était simple : éduquées, les jeunes filles risqueraient de vouloir sortir de leur rôle et de leurs devoirs traditionnels, et cette forme d’individualisme créerait nécessairement le chaos, l’avilissement et la débauche.

Certaines féministes se sont opposées à cette vision, comme Elisa Lemonnier, qui a fait de l’éducation des jeunes filles le combat de sa vie. Saint-simonienne, elle prône l‘interdépendance de l’émancipation des femmes et de leur éducation, principalement professionnelle. C’est dans cette optique qu’elle fonde d’abord l’Atelier national de fournitures pour les hôpitaux et les prisons, permettant ainsi d’employer et de former des femmes qui n’étaient alors éligibles à aucun emploi en raison de leur absence d’instruction ; puis, la Société de protection maternelle, dispensant gratuitement éducation et formation professionnelle aux jeunes filles ; enfin, la Société pour l’enseignement professionnel des femmes, proposant un programme sur trois ans, payant (avec un système de bourses en fonction des revenus familiaux) et laïc.

D’autres féministes intégreront la vision de l’Église catholique à leur mouvement, comme Marie Maugeret, fondatrice du féminisme chrétien et du journal éponyme. Elle défendait la cellule familiale comme élément constitutif de la société et, si elle envisageait la femme comme mère et épouse, elle condamnait l’inégalité au sein du couple. Elle resta toutefois assez isolée, perçue comme radicale par l’Église mais rejetée par les autre mouvements féministes, principalement en raison de ses positions antisémites et anti-protestantes.

La lutte des classes

Beaucoup de féministes étaient alors éduquées et issues de bonnes familles, ce qui créa sans doute le schisme le plus important au sein des mouvements féministes : les intérêts qu’elles portaient s’opposaient aux intérêts des femmes des classes ouvrières. Si les féministes bourgeoises accusaient l’industrialisation des femmes, dont le salaire ne leur permettait pas l’indépendance, les femmes des classes ouvrières y voyaient une source de revenus nécessaire pour leur famille.

La pierre angulaire de ce conflit n’est autre, de nouveau, que la famille : l’économie française étant alors fondée sur les petites entreprises familiales, il était important pour les femmes autant que les hommes de maintenir ce tissu entrepreneurial familial. Or, les revendications féministes libérales visant à donner aux femmes d’autres opportunités de travail étaient perçues comme une menace et remettaient en cause la vie de nombreuses femmes qui refusaient de voir leur travail dévalorisé, ou considéré comme n’étant, d’une certaine manière, pas le bon. De même, il inquiétait les hommes qui craignaient de perdre des opportunités de travail.

Dès lors, cette division fut reprise et utilisée par les socialistes de l’époque. On trouve dans un premier temps une forte hypocrisie derrière le slogan « à travail égal, salaire égal ». Car, nombre de partisans partaient du principe que les employeurs n’embaucheraient plus que des hommes, puis, en diminuant la concurrence du travail moins rémunéré des femmes, leurs propres salaires pourraient augmenter. Ils redeviendraient ainsi les uniques pourvoyeurs familiaux.

D’autres motifs de dissension

On peut ajouter à cela un dernier élément de la rhétorique anti-féministe : le féminisme serait anti-patriotique parce qu’il serait la cause du faible taux de natalité de la France de cette époque. Pourtant, si les Français•es étaient certes le premier peuple européen a avoir volontairement recours à des méthodes contraceptives, peu de féministes en avaient fait un argument de la lutte pour les droits des femmes. La libération sexuelle, allant de pair avec la contraception, était d’ailleurs un autre sujet de dissension pendant la première moitié du XIXè siècle, opposant les saint-simoniens Prosper Enfantin et Saint-Armand Bazard, le premier étant partisan de la liberté amoureuse et sexuelle des femmes comme élément clé de leur libération globale, contrairement au second.


Bref, comme vous le voyez, cette histoire est pour le moins conséquente et je pourrais encore passer des heures à en discuter, mais je ne prendrai pas le risque de perdre votre attention ! Si cela vous a plu, je vous recommande vivement le tableau très complet rédigé par Karine Dorvaux qui fournit plus de détails sur la chronologie de la période.


Annick Druelle. 2006. « Mouvements internationaux de femmes et solidarité des intérêts au XIXe siècle ». Texte présenté à l’atelier Transnationalisation des solidarités et mouvements des femmes. Université de Montréal : département de science politique.

Dany Stive. 2011. « Paule Mink (1839-1901) : passionnément femme, féministe et socialiste ». L’Humanité.

Jean-Louis Debré et Valérie Bochenek. 2013. Ces femmes qui ont réveillé la France. Fayard.

Karen Offen. 1982. « ‘First wave’ feminism in France: New work and resources. » Women’s Studies International Forum 5 (n°6) : 685-689.

Marilyn J. Boxer. « ‘First wave’ feminism in nineteenth-century France : class, family and religion ». Women’s Studies Int. Forum 5 (n°6) : 551-559.

Sylvia Paletschek et Bianka Pietrow-Ennker. 2004. Women’s Emancipation Movements in the Nineteenth Century : a European Perspective. Stanford University Press.

Olympe de Gouges (1748-1793)

Temps de lecture : 2 minutes


Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, I’impudente Olympe de Gouges, qui abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Cet oubli de son sexe l’a conduite à l’échafaud.

Pierre Chaumette, 1793

Lorsqu’ils ne l’oubliaient pas – volontairement? -, les historiens ont souvent voulu faire d’Olympe de Gouges une créature furieuse, hystérique, démente, ayant trahi sa « féminité » – c’est-à-dire sa douceur et sa passivité. En réalité, il s’agit d’une théoricienne doublée d’une activiste dont la profondeur et le courage n’ont d’égal que la pertinence. On retient principalement d’elle sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) et le fait qu’elle a été guillotinée; mais, bien évidemment, ce n’est pas tout.

Pour le moins prolifique, elle a rédigé plusieurs essais, brochures, pièces de théâtre, romans, et ses revendications portaient alors principalement sur :

  • l’égalité des droits, notamment par le suffrage universel et la possibilité de participer activement à la vie politique;
  • la liberté d’opinion et d’expression;
  • l’accès au divorce – elle s’opposait radicalement au mariage tel qu’il était établi, et notamment aux mariages forcés;
  • l’importance de la solidarité et de l’unité entre les femmes.

Certaines de ses idées étaient résolument modernes, peut-être même dangereusement avant-gardistes. Elle était effectivement en faveur de la féminisation des noms de professions, de la protection sociale des femmes marginalisées, qu’elles soient travailleuses du sexe ou mères isolées, ou encore de la taxation du « luxe effréné ».

D’aucuns estiment toutefois que son œuvre pose des défis interprétatifs. L’une des hypothèses est que l’excessive spontanéité qu’on y trouve, alliée à certaines incohérences, dénote une fervente volonté de se faire entendre – et, de fait, les difficultés qu’elle a pu rencontrer.

Qui plus est, on ne saurait oublier ses prises de positions abolitionnistes, notamment dans ses Réflexions sur les hommes nègres (sic), publiées après que la Comédie Française lui avait demandé de changer, dans Zamora et Mirza, les personnages même des esclaves Noirs. Ses Réflexions témoignent de sa profonde conviction de l’égalité naturelle des êtres humains et de l’absence fondamentale de justification de l’oppression, qui n’existe selon elle que pour l’intérêt et l’avarice des hommes blancs.

D’autres figures importantes au tournant du XIXè siècle :

  • Félicité de Kéralio (1758-1821)
  • Anne-Joseph Terwagne devenue Théroigne de Méricourt et surnommée l’Amazone Rouge ou la furie de Gironde (1762-1817)
  • Sophie de Grouchy, marquise de Condorcet (1764-1822)
  • Claire Lacombe (1765-1798)
  • Pauline Léon (1768-1838)

Bibliothèque nationale de France. 2019. « Pionnières ! – Olympe de Gouges ». En ligne.

Jean-Louis Debré et Valérie Bochenek. 2013. Ces femmes qui ont réveillé la France. Fayard.

Marie Josephine Diamond. 1990. « Olympe de Gouges and the French Revolution : the construction of gender as critique ». Dialectical Anthropology 15 (2/3) : 95-105.

Pierre Sané. 2008. « À contre-courant ». Le Monde Diplomatique. En ligne.

Crédit image © Élodie Bouédec

Histoire du féminisme (1/5) : présentation générale

Temps de lecture : 2 minutes


Les prises de position en faveur de la valorisation de la place des femmes dans la société sont présentes dans la littérature depuis la Grèce Antique (Sappho). Puis, on en retrouve tant au Moyen-Âge (Hildegard von Bingen, Christine de Pisan) qu’à la Renaissance (Louise Labé, Marie de Gournay, Mary Ward, Mary Astell). L’histoire en a retenu des textes individuels, ne reflétant guère un élan commun ou un mouvement conscient de sa propre existence. Cependant, il serait erroné de croire que les autrices portaient involontairement, ou par hasard, des messages d’émancipation – en témoignent les querelles ayant opposé, tout au long de l’histoire, les pro et les anti évolution du statut des femmes. C’est pourquoi l’on tend à prendre le siècle des Lumières et des Révolutions comme point de départ du féminisme. Il semblait à l’époque assez univoque, puisqu’intimement lié à la montée du libéralisme et teinté d’individualisme.

Généralement associée à Martha Weinman Lear et à son article « The Second Feminist Wave » paru en 1968 dans le New York Times Magazine, l’expression métaphorique vagues du féminisme remonterait plutôt à 1920 (selon Elizabeth Sarah, dans son ouvrage Reassessments of First Wave Feminism paru en 1983). L’on en identifie aujourd’hui quatre, mais il demeure difficile d’en déterminer clairement les bornes chronologiques. Le plus souvent, elles sont délimitées ainsi :

  1. de la fin du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale
  2. des années 1950 aux années 1990
  3. des années 1990 aux années 2010
  4. depuis 2010

Les deux théoriciennes principales considérées comme les précurseuses de la première vague du féminisme sont Olympe de Gouges, en France, et Mary Wollstronecraft, en Angleterre. Aux États-Unis, Abigail Adams, conseillère et épouse de John Adams, a également été une figure extrêmement influente de son époque. Elle promouvait la nécessité d’une juste représentation des femmes dans les processus législatifs et l’accès égal à l’éducation, tentant ainsi de sensibiliser son mari, notamment lors de la rédaction de la Déclaration d’Indépendance. Son legs se trouve cependant principalement dans des lettres privées publiées à titre posthume, et non dans des écrits volontairement rendus publics, à l’instar des deux militantes européennes.

Ces figures appartiennent à une histoire hégémonique, qui laisse peu de place aux femmes non blanches, ouvrières, paysannes, ou encore esclaves, qui ont tout autant porté des revendications que l’on nommerait aujourd’hui féministes.


Antonio González Alcaraz. 1987. « Le débat féministe à la renaissance ». Estudios románicos 4 : 453-460.

Béatrice Alonso et Éliane Viennot. 2004. Louise Labé 2005. Saint-Étienne : PUSE, coll. « l’école du genre ».

Cathia Jenainati et Judy Groves. 2010. Introducing Feminism: A Graphic Guide. London : Icon Books Ltd.

Divina Frau-Meigs. 2018. « Les armes numériques de la nouvelle vague féministe ». The Conversation. En ligne.

Martha Rampton. 2019. « Four Waves of Feminism ». Pacific University.

René Doumic. 1898. « Revue littéraire : Le féminisme au temps de la Renaissance ». Revue des Deux Mondes 149 (4) : 921-932.

Sarah Gamble. 2006. The Routledge Companion to Feminism and Postfeminism. Taylor & Francis e-Library.