Les mouvements féministes aux États-Unis au XIXè siècle

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Si le point de départ de la première vague du féminisme états-unien est généralement situé en 1848, lors de la Seneca Falls Convention, la première moitié du siècle est tout aussi essentielle. Il est important de garder à l’esprit que la lutte abolitionniste est indissociable de l’éclosion du féminisme aux États-Unis. D’une part, il s’agit de systèmes d’oppression inter-reliés et dénoncés d’une même voix, d’autres part, de nombreuses pionnières féministes n’étaient autres que des femmes noires.

Toutefois, si les féministes étaient abolitionnistes, les abolitionnistes n’étaient pas nécessairement féministes. En effet, lors de la Convention mondiale contre l’esclavage, qui s’est tenue à Londres en 1840, les femmes en étaient dans un premier temps exclues, bien qu’elles parvinrent à un arrangement. La crainte principale des hommes luttant contre l’esclavage était alors que les revendications d’égalité des sexes ne rendent inaudibles ou ne fassent perdre la crédibilité de leurs revendications d’égalité raciale.

Des années 1820 à 1848

Trois figures principales se détachent en ce début de XIXè siècle, toutes trois luttant pour l’émancipation des femmes et des esclaves :

  • Frances Wright (1795-1852) : première femme à prendre la parole devant un auditoire mixte
  • Maria W. Stewart (1803-1879) : première femme noire à prendre publiquement la parole devant un auditoire mixte
  • Angelina Grimké (1805-1879) : première femme à prendre officiellement la parole devant des élus parlementaires

D’origine écossaise, grandement inspirée par la philosophie socialiste utopique de Robert Owen, Frances Wright avait pour ennemi principal le « culte de la domesticité« , soit le renvoi structurel des femmes à la sphère privée. Elle préfigurait les réflexions du siècle suivant, puisque sa thèse consistait en la neutralité de l’esprit, auquel l’éducation et l’habitude donnaient un genre. Ainsi, c’est parce que l’éducation des femmes était volontairement délaissée qu’elles se trouvaient sous le joug masculin. Ses autres revendications portaient principalement sur l’égalité des droits et au sein du mariage, ainsi que l’accès à la contraception. Dans son désir d’émancipation, elle fonda la communauté de Nashoba, au Tennessee, de laquelle trois systèmes d’oppression étaient exclus : le mariage, la religion et le capitalisme. À terme, l’objectif était l’abolition de l’esclavage et la réalisation, à l’échelle du pays, de son utopie. Ce projet se solda toutefois par un échec, pour de nombreuses raisons. Elle entreprit alors une tournée de conférences dans le but de réformer le système politique et législatif, confrontant tous les présupposés sexistes sur les femmes, et prônant toujours l’éducation comme clé de l’émancipation. Grandement critiquée, renvoyée à son radicalisme et taxée d’agressivité – si ce n’est de virago -, l’on reconnaissait toutefois ses qualités oratoires.

En 1832, Maria W. Stewart fut la première femme noire à prendre officiellement la parole devant un auditoire mixte (femmes et hommes, Noir·es et Blanc·hes). Cette prise de parole ne fut pas isolée puisqu’elle s’adressa pendant un an à différents groupes, usant d’une rhétorique religieuse, dénonçant à la fois l’esclavage dans les États du Sud et l’aliénation ainsi que la discrimination dans les États du Nord, puis invitant les femmes noires à poursuivre sans concession un idéal de liberté. Peu de documents décrivent les réactions des auditoires, cependant, dans ses carnets, Marie Stewart fait part de son sentiment d’isolement, qui la poussera à arrêter. L’histoire ne retient guère cette figure pourtant essentielle, principalement parce qu’en parallèle, Angelina Grimké devint, en 1838, la première femme du pays à prendre la parole de manière officielle devant des élus parlementaires. Accompagnée de sa sœur Sarah Grimké, toutes deux conférencières abolitionnistes convaincues de l’égalité naturelle entre les êtres humains, elle recommandait aux femmes de signer des pétitions à faire parvenir au Congrès, afin de faire entendre leur voix en dépit de la restriction de leurs droits civiques – en prenant notamment l’exemple de l’Angleterre, où les nombreuses pétitions des femmes avaient permis l’abolition de l’esclavage dans les colonies.

Enfin, l’on ne saurait oublier Margaret Fuller, dont le combat portait sur l’éducation des femmes. Elle organisa, dans les années 1840, des ateliers leur étant réservés, au cours desquels elles discutaient principalement littérature et philosophie, dans l’objectif de « systématiser la pensée ». En 1845, elle publia Woman in the Nineteenth Century, plaidoyer féministe pour l’égalité civique, mais également en faveur de l’émancipation permise par la satisfaction intellectuelle et spirituelle, en opposition à la sphère domestique à laquelle les femmes étaient assignées. De même, elle dénonça vivement les l’injustice des lois concernant la propriété et l’iniquité dans le mariage. Si le livre se vendit plus que rapidement, il fit également résonner un immense scandale.

De 1848 au tournant du XXè siècle

Sous l’impulsion de la Convention de 1848, d’autres événements régionaux suivirent et de multiples initiatives naquirent afin de mettre en lumière les discriminations. L’une d’elle consistait en la réforme de l’habillement des femmes. Elizabeth Smith Miller déambula ainsi dans les rues de Seneca Falls, en 1849, en pantalon « à la turque », ce qui attira l’attention d’Amelia Jenks Bloomer. Cette dernière s’en inspira pour créer la Bloomer, une tenue constituée de ce pantalon et d’une jupe courte, portée pendant un temps par les figures de prou du mouvement. Toutefois, l’idée de la réforme des codes vestimentaires fut rapidement abandonnée, par peur que cela ne nuise aux autres revendications.

Un an plus tard, en 1850, se tint la première Convention nationale pour les droits des femmes, organisée par Abby Kelley Foster, Lucy Stone, Harriot Kezia Hunt, et Paulina Wright Davis – qui présida. Toutes prirent la parole, accompagnées d’Antoinette Brown, d’Ernestine Rose, de Lucretia Mott, et de Sojourner Truth – à noter qu’Harriet Taylor Mill et Harriet Martineau étaient présentes. La seconde convention nationale eu lieu un an plus tard, et l’on en retient notamment le discours de Sojourner Truth – militante afro-américaine pour l’abolition de l’esclavage et les droits des femmes, étant elle-même née esclave, ayant été mariée de force, mais ayant réussi à s’enfuir – Ain’t I a Woman (disponible en anglais ou traduit). Sojourner Truth dénonçait la double oppression à laquelle elle faisait face en tant que femme noire, et ce que cela impliquait dans le rapport au corps. En somme, la puissance des corps des femmes esclaves rompait avec l’idée préconçue de la féminité, ce qui nuisait à la reconnaissance des femmes noires comme femmes. D’autres militantes noires ont été essentielles au mouvement, telles que Harriet Tubman et Frances E.W. Harper.

Lors de la convention de 1851 se rencontrent Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony, qui travailleront ensemble pendant une cinquantaine d’années. Si Stanton avait pour objectif principal que les femmes prennent le contrôle de leur sexualité et de la reproduction, mais également qu’elles aient accès au divorce, les revendications d’Anthony tournaient autour des réformes législatives. Elles créèrent ainsi le journal The Revolution en 1868, puis la National Woman Suffrage Association en 1869, qui promut le droit de vote jusqu’en 1890, date à laquelle l’association fusionna avec sa concurrente, l’American Woman Suffrage Association, de Lucy Stone, pour former la National American Woman Suffrage Association. En 1878, Anthony soumit au Congrès un amendement constitutionnel en faveur du droit de vote des femmes, qui fut rejeté en 1897 par le Sénat, et ce n’est qu’en 1913 que la proposition fut ré-étudiée suite à différentes manifestations des suffragettes. La proposition fut ratifiée en 1920, ce qui amena l’association à devenir la League of Women Voters, présidée par Maud Wood Park.


Cathia Jenainati et Judy Groves. 2010. Introducing Feminism: A Graphic Guide. London : Icon Books Ltd.

Gail Bederman. 2005. « Revisiting Nashoba: Slavery, Utopia, and Frances Wright in America, 1818-1826 ». American Literary History 17 (n°3) : 438-459.

Jennifer Rygenga. 2001. « Maria Stewart, Black Abolitionist, and the Idea of Freedom ». Dans Marguerite R. Waller et Jennifer Rygenga (dir.), Frontline Feminisms : Women, War, and Resistance. Routledge : New-York/London : 293-322.

Molly Abel Travis. 1993. « Frances Wright: The Other Woman of Early American Feminism ». Women’s Studies 22 (n°3) : 389-397.

Shirley Wilson Logan. 1995. With Pen and Voice: A Critical Anthology of Nineteenth-Century African-American Women. SIU Press. »Women’s Suffrage ». ThoughtCo. En ligne.

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