Yosano Akiko (1878-1942)


Le jour où la montagne bouge est venu

Yosano Akiko, 1911

Sur ce sanctuaire

Que l’humanité bâtit

Depuis toujours,

Je veux moi aussi planter

Un clou en or à mon tour

Yosano Akiko, 1922

Née le 7 décembre 1878 à Sakai au sein d’une famille commerçante aisée, Yosano Akiko (de son vrai nom Hô Shô) a reçu une éducation poussée et privilégiée pour l’époque, puisque seules 1,3% des jeunes filles intégraient alors une école secondaire (contre 5,1% des jeunes garçons). Pour autant, contrainte par son père, elle n’a pu poursuivre des études universitaires, contrairement à son frère ainé par exemple – grâce à lui, elle pourra toutefois parfaire son éducation littéraire, à travers la lecture de romans, d’abord classiques puis contemporains, mais également de revues. Elle prendra plus tard conscience de l’injustice et de la tristesse ayant ponctuées son enfance.

À l’âge de seize ans et après les avoir toujours aidés en parallèle de l’école, Yosano Akiko commence à travailler à temps plein dans la pâtisserie tenue par ses parents. Elle profite des temps morts à la boutique, de ses soirées, voire même de ses nuits, pour lire et écrire, principalement de la poésie. Elle confie ainsi que « [s]on corps se trouvait très occupé par [s]on travail physique au magasin, mais, dans [s]on cœur, [elle s’était] changée en une de ces nobles femmes du Dit du genji ; [elle avait] une compréhension claire de la face sombre de l’humanité ; [elle imaginait] la paix d’un retour au néant et la pureté de la mort » et, « durant ces moments de ravissement, il [lui] arrivait souvent de penser au suicide » (Dodane 2016). Un an plus tard, elle intègre un cercle de poètes locaux, grâce à l’un de ses voisins.

Elle fait parvenir des wakas (un genre prestigieux de la poésie japonaise, recouvrant plusieurs formes poétiques) aux revues littéraires qu’elle consomme. En 1900, elle participe à un concours de poésie au cours duquel elle rencontre un poète dont elle apprécie la nouveauté et qui deviendra, un an plus tard, son mari : Yosano Tekkan (1873-1935) – de son vrai nom Hiroshi Yosano. De cinq ans son ainé, il est professeur, habitué, semblerait-il, aux relations avec ses élèves, déjà marié et père d’un enfant. Ils auront ensemble pas moins de douze enfants. En 1901, elle publie son premier (et plus célèbre) recueil, Cheveux emmêlés (Midaregami en langue originale). Selon Claire Dodane, cet ouvrage doit être compris comme « le récit poétique et éclaté de la genèse de [son] amour [avec Yosano Tekkan], des mois qui précèdent la première rencontre jusqu’à la publication du recueil » (2010, 158). Qui plus est, « Cheveux emmêlés est la première œuvre produite par une femme dans la littérature japonaise moderne à avoir laissé libre cours au bonheur féminin » et l’on « assiste au fil des pages à une naissance voluptueuse et érotique au sein d’un monde de sensations » (2010, 172). En d’autres termes, ce recueil est à la fois novateur, éminemment moderne si ce n’est révolutionnaire, et emprunt de féminisme.

En effet, Yosano Akiko a donné voix aux expériences émotionnelles et sensuelles des femmes dans une société pudique et conservatrice. Et ce n’est que le début tant d’une carrière poétique impressionnante que d’un engagement social significatif. En 1904, elle milite en faveur du pacifisme face à la guerre russo-japonaise, à travers son poème « Ne donne pas ta vie », adressé à son frère cadet. En 1911, elle devient ainsi la marraine de Seitô, la première revue littéraire féministe à voir le jour au Japon. Ainsi que l’explique Maya Todeschini : « sous l’impulsion d’Hiratsuka Raichô puis de Itô Noe, deux féministes qui brillèrent sur la scène intellectuelle et artistique, [Seitô] devint le forum et le symbole des femmes nouvelles : celles qui refusaient le rôle de bonne épouse et de mère avisée qui, selon les intellectuels et dirigeants japonais de l’époque, était le seul convenant à leur sexe, confiné dans un statut inférieur » (2014, 100).

En 1912, elle rejoint son mari en Sibérie, avant qu’iels ne s’installent pendant un an à Paris – elle en profitera pour explorer l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas. Elle y rédige le recueil De l’été à l’automne, mais également, avec son mari, le Journal de Paris, dans lequel iels s’interrogent sur l’éducation des femmes et militent en sa faveur. Suite à ses différents voyages en Europe, elle écrit notamment : « Pourquoi donc les hommes et les femmes ne peuvent-ils vivre dans l’égalité ? Parce que les hommes refusent de se défaire de l’habitude barbare qui consiste à considérer les femmes comme leurs possessions, parce que les femmes de leur côté n’ont pas le courage de rejeter cette mentalité ancienne… D’après ce que j’ai pu observer, les hommes continuent en France, comme en Asie, de considérer tout au fond d’eux que les femmes sont leurs choses, leurs jouets, des êtres dépendants… Ce que je me demande, c’est pourquoi les Françaises ne prennent pas en main leur propre éducation, ne décident pas elles-mêmes de s’éduquer au même niveau que les hommes. Car le premier droit que nous devons revendiquer, nous les femmes qui désirons bénéficier à égalité des avantages de la société moderne, est la liberté de l’éducation. » (1981, réédition).

C’est ainsi qu’après avoir obtenu un poste d’enseignante à l’université, elle participer, en 1911, à l’ouverture de la première école mixte du Japon (Bunkagakuin), dont l’objectif était d’éduquer des « individus libres » (Rodd 1991).


Sappho/Psappha (610-570 avant JC)

Temps de lecture : 2 minutes


Plus connue sous le nom de Sappho, Psappho, Psappha ou encore Ψαπφώ, est une poétesse et musicienne grecque, originaire de Mytilène, sur l’île de Lesbos. Les détails de sa vie sont méconnus, les sources manquent et l’histoire oublie. Il est même parfois difficile de démêler le fait de la fable. Était-elle mariée à un certain Cercylas ? Rien n’est moins sûr. Avait-elle une fille nommée Cleis ? L’un de ses poèmes en fait mention, mais nous n’avons guère de preuve. A-t-elle vraiment été exilée en Sicile ? Aucune certitude à ce sujet. L’Église a-t-elle brulé ses œuvres parce qu’elle était une « put*in obsédée par le sexe, qui chante son propre libertinage » ? Mythe ou non, il est vrai que ses écrits – et son amour pour les femmes – firent scandale.

L’encyclopédie Britannica résume sont style ainsi : « Sa langue contient des éléments du langage vernaculaire éolien et de la tradition poétique éolienne, avec des traces du vocabulaire épique familier aux lecteurs d’Homère. Son phrasé est concis, direct et pittoresque. Elle est capable de prendre du recul et de juger de manière critique ses propres extases et chagrins, et ses émotions ne perdent rien de leur force en se recueillant dans la tranquillité. ». Car, particulièrement lyrique, sa poésie donne beaucoup de place à l’amour, et l’emploi du je y est révolutionnaire, puisqu’elle est la première femme à l’utiliser.

Outre ses poèmes, Sappho est à l’origine d’une académie (thiasos), avec pour objectif l’éducation des jeunes femmes. Les activités étaient principalement orientées autour du chant, de la danse et de la poésie, le pilier central étant la séduction. Comme il était courant à cette époque, l’homo-érotisme prenait une place importante au sein de cette communauté de femmes qui apprenaient la philia, soit l’amitié propre à celles et ceux qui appartiennent au même groupe.

La déesse Aphrodite est une composante essentielle de son œuvre. Son Ode est d’ailleurs l’un des seuls de ses poèmes a nous être parvenu dans son intégralité – il existerait actuellement 250 fragments, dont moins de 70 contiendraient des vers complets. Théodore Reinach et Aimé Puech en ont proposé cette traduction en 1937 :

Toi dont le trône étincelle, ô immortelle Aphrodite, fille de Zeus, ourdisseuse de trames, je t’implore : ne laisse pas, ô souveraine, dégoûts ou chagrins affliger mon âme,

Mais viens ici, si jamais autrefois entendant de loin ma voix, tu m’as écoutée, quittant la demeure dorée de ton père tu venais,

Après avoir attelé ton char : de beaux passereaux rapides t’entraînaient autour de la terre sombre, secouant leurs ailes serrées et du haut du ciel tirant droit vers l’éther.

Vite, ils étaient là. Et toi, bienheureuse, éclairant d’un sourire ton immortel visage, tu demandais, quelle était cette nouvelle souffrance, pourquoi de nouveau j’avais crié vers toi,

Quel désir ardent travaillait mon cœur insensé : « Quelle est donc celle que, de nouveau, tu supplies la Persuasive d’amener vers ton amour ? qui, ma Sapho, t’a fait injure ?

Parle : si elle te fuit, bientôt elle courra après toi ; si elle refuse tes présents, elle t’en offrira elle-même ; si elle ne t’aime pas, elle t’aimera bientôt, qu’elle le veuille ou non. »

Cette fois encore, viens à moi, délivre moi de mes âpres soucis, tout ce que désire mon âme, exauce-le, et sois toi-même mon soutien dans le combat.


Contributors. 2022. « Sappho – Greek poet ». Encyclopedia Britannica. En ligne.

Daniel Mendelsohn. 2015. « How Gay Was Sappho? ». The New Yorker. En ligne.

Pascal Charvet. 2020. « Sappho, poétesse grecque de Lesbos: La première femme qui dit je« . Odysseum. En ligne.

Renée Vivien. 1903. « Préface ». Dans Sappho : Traduction nouvelle avec le texte grec. Paris: Alphonse Lemerre Éditeurs.

© Crédit image : Marisa Ranieri Panetta / Museo Archeologico Nazionale (Naples)