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Je suis féministe depuis l’âge de 11 ans. À 11 ans, j’ai en effet reçu des réprimandes du couvent des dominicaines où j’étais élevée, en écrivant, avec le bout de mon soulier trempé dans l’eau, Vive le Féminisme ! sur le pavé du cloître du couvent des Dames. C’est dire que ça remonte à loin.
Entretien avec Martina Galimberti et Joëlle Palmieri, 1999
Françoise d’Eaubonne nait à Paris en 1920 et passe son enfance à Toulouse, dans une famille certes issue de la bourgeoisie, mais dorénavant impécunieuse, et surtout très politisée – un père anarcho-syndicaliste et une mère sensible aux inégalités de genre, fille d’un militant carliste. Elle trouve rapidement sa voie dans l’écriture, puisqu’elle décroche, à 13 ans, la première place du concours de nouvelles Denoël. Cinq ans plus tard, après l’obtention de son baccalauréat, elle s’oriente d’abord vers des études juridiques et artistiques, avant de suivre le même chemin que sa mère et devenir institutrice – sa mère, d’origine espagnole, avait suivi un cursus scientifique alors guère accessible aux femmes, s’était heurtée à maintes difficultés, et n’avait pu mener à bien la carrière « qui s’annonçait pourtant exceptionnelle » selon Françoise d’Eaubonne elle-même. En 1944, elle publie son premier roman, et en 1951, son premier essai féministe, prenant la défense de Simone de Beauvoir. C’est le début d’une œuvre pour le moins prolifique, qui comptera plus d’une centaine d’ouvrages, parmi lesquels Éros minoritaire (1970), Le féminisme ou la mort (1974), Les femmes avant le patriarcat (1977), ou encore Le sexocide des sorcières (1999). En parallèle de sa carrière d’autrice, elle est également militante radicale : écartée au Parti Communiste Français de 1946 à 1956, membre du Mouvement de Libération des Femmes dès 1970, co-fondatrice, un an plus tard, du Front homosexuel d’action révolutionnaire (elle était quant à elle hétérosexuelle, mais à la fin des années 1960, Caroline Goldblum nous apprend qu’elle « ne fréquentait presque exclusivement des hommes homosexuels »), puis fondatrice, en 1974, du Front féministe (futur Écologie-féminisme centre) et d’Écologie et féminisme en 1978 – dans le cadre de ces regroupements, elle mène des actions de terrain, assumant le choix de la contre-violence, soit de la légitimité et de la nécessité du terrorisme en contexte révolutionnaire (Goldblum 2019, 41-42).
Au croisement de l’écologie et du féminisme
Notre urgence est de refaire la planète sur un mode absolument neuf; ce n’est pas une ambition, c’est une nécessité; elle est en danger de mort, et nous avec elle.
Françoise d’Eaubonne (1974, 218)
Françoise d’Eaubonne avait pour devise « Toutes les luttes ne font qu’une » (Goldblum 2019, 16). L’idée de convergence des luttes sous-tend sa conceptualisation de l’éco-féminisme, qui demeure son héritage intellectuel le plus connu. Le point de départ de sa théorisation est le suivant : « Tout le monde, pratiquement, sait qu’aujourd’hui les deux menaces de mort les plus immédiates sont la surpopulation et la destruction des ressources; un peu moins connaissent l’entière responsabilité du Système mâle, en tant que mâle (et non pas capitaliste ou socialiste) dans ces deux périls; mais très peu encore ont découvert que chacune des deux menaces est l’aboutissement logique d’une des deux découvertes parallèles qui ont donné le pouvoir aux hommes voici cinquante siècles : leur possibilité d’ensemencer la terre comme les femmes, et leur participation dans l’acte de reproduction » (d’Eaubonne 1074, 220-221). Autrement dit, le patriarcat est une menace pour l’humanité autant que pour l’environnement, peu importe le système économique dans lequel il s’inscrit ; ce faisant, une lutte anti-capitaliste ne peut être qu’anti-patriarcale, au risque de ne pas résoudre complètement le problème, et inversement. Toutefois, ce n’est pas une essence mâle mais bien la construction sociale de la masculinité qui est à l’origine du péril social et écologique que l’autrice dénonce, et c’est la hiérarchie des valeurs qu’elle entend faire muter. Car, seul le renversement du patriarcat et la destruction de la notion de pouvoir (1977, 221) permettront la survie de l’espèce ; ce faisant, « la planète mise au féminin reverdirait pour tous » (1974, 252).
Anecdote : si Françoise d’Eaubonne est une théoricienne et militante incontournable, quoique redécouverte récemment, elle était, dans les années 1970, connue pour sa virulence et son caractère difficile, qui ont participé de sa marginalisation – ainsi que son goût pour la science fiction, qui semble avoir décontenancé ses contemporain·e·s.
Pour en savoir plus
- Françoise d’Eaubonne (1920-2005), l’imagination comme seul pouvoir – Toute une vie/France Culture
- Et Françoise d’Eaubonne, « l’Amazone verte », créa l’écoféminisme – Isabelle Mourgere, Terriennes/TV5 Monde
- L’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne, une pensée de gauche escamotée ? – Iris Derzelle, La Vie des idées
Voir également le travail de Nicolas Lontel : Bibliographie de Françoise d’Eaubonne, Articles de Françoise d’Eaubonne, Manuscrits de Françoise d’Eaubonne, Entrevues avec Françoise d’Eaubonne, Bibliographie critique sur Françoise d’Eaubonne
Caroline Goldblum. 2017. « Françoise d’Eaubonne, à l’origine de la pensée écoféministe ». L’Homme et la Société 1-2 (n° 203-204): 189-202.
Caroline Goldblum. 2019. Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme. Paris: Éditions le passager clandestin.
Delphine Naudier. 2021 [2009]. « EAUBONNE (d’) Françoise [PISTON d’EAUBONNE Françoise, Marie-Thérèse, dite] ». Le Maitron. En ligne.
Françoise d’Eaubonne. 1974. Le féminisme ou la mort. Paris: Femmes en mouvement, Pierre Horay Éditeur.
Françoise d’Eaubonne. 1977. Les femmes avant le patriarcat. Paris: Payot.
© Crédit photo : Laure Albin Guillot / Roger-Viollet